COVID-19, coopération entre des entreprises pharmaceutiques et médicales et le droit de la concurrence

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Dans quelle mesure le droit de la concurrence autorise des entreprises pharmaceutiques et médicales à coopérer afin de faire face aux défis exceptionnels dus à la crise COVID-19?

Cette question est actuellement cruciale dans le secteur des soins de santé, par exemple pour faire en sorte que les médicaments soient disponibles pour soigner les patients atteints du COVID‐19. La réponse : dans les circonstances exceptionnelles actuelles on peut faire plus que d'habitude, mais l’on n’a pas carte blanche.

Le 8 avril 2020 la Commission européenne a mis à disposition un ‘cadre temporaire’ pour apprécier si les coopérations entre entreprises pour réagir à la pandémie COVID-19, sont conformes au droit de la concurrence. Des précisions utiles peuvent être trouvées dans une ‘lettre de confort’ (une lettre administrative de «compatibilité») du 8 avril à ‘Medicines for Europe’.

Cet article aborde certains points d'attention en relation avec le droit de la concurrence.

 

Remédier à une pénurie de produits et de services essentiels

La Commission reconnaît expressément que la coopération entre entreprises peut être ‘utile’, voire ‘nécessaire’, pour remédier à la pénurie de certains produits et services essentiels. Cela concerne en premier lieu des médicaments et des équipements médicaux utilisés pour effectuer des tests et pour soigner les patients atteints du COVID‐19. Les formes de coopération qui ont été expressément mentionnées sont les suivantes :

  • Une augmentation considérable et rapide du volume de fabrication de produits nécessaires, mais pour lesquels il existe une pénurie, ce qui pourrait mener à une réduction du volume de fabrication d’autres produits.
  • Une réaffectation de stocks, ce qui exigerait que des entreprises s’accordent pour échanger/communiquer des informations relatives aux ventes et aux stocks. 
  • Convertir des lignes de production de médicaments (ou autres produits) non essentiels/non concernés par une pénurie vers des médicaments (ou autres produits) nécessaires pour faire face à la pandémie.
  • Accroître la production et l’efficacité en produisant un seul médicament sur un site donné (c’est-à-dire une forme de spécialisation).

 

Le droit de la concurrence continue à s’appliquer

Des entreprises qui envisagent de coopérer ou d’échanger des informations avec leurs concurrents, doivent savoir que le droit de la concurrence continue à s’appliquer en temps de crise. Cela a été explicitement (ré)confirmé par les autorités nationales de concurrence suite à la crise COVID-19. La Commission européenne a également clairement énoncé que dans cette crise sanitaire et économique le droit de la concurrence doit pleinement jouer son rôle afin de protéger les entreprises et les consommateurs.

Il est tout à fait possible qu’une coopération, même si elle tombe en dehors du ‘cadre temporaire’, soit parfaitement compatible avec le droit de la concurrence. Le droit de la concurrence autorise de nombreuses formes de coopération. Il faut toutefois  tenir compte du fait qu’il y a également des cas qui confirment qu’une coopération entre concurrents « dans le but de remédier aux effets d’une crise sectorielle » était anti-concurrentielle.

 

Coopération par un tiers (tel qu’une association professionnelle)

La Commission indique qu’une coopération entre concurrents dans le secteur des soins de santé peut être organisée par le biais d’une association professionnelle, un organisme public ou un prestataire de services indépendant. Des tâches qui peuvent être confiées à ce ‘tiers’ sont :

  • la coordination du transport conjoint d’intrants;
  • contribuer au recensement des médicaments essentiels pour lesquels les prévisions de production indiquent un risque de pénurie ;
  • agréger des informations relatives à la production et aux capacités, sans échanger d’informations concernant une entreprise particulière;
  • élaborer un modèle permettant de prévoir la demande au niveau d'un État membre et de détecter les déficits d’approvisionnement ;
  • partager des informations agrégées concernant les déficits d’approvisionnement et demander aux entreprises participantes de lui indiquer, sur une base individuelle et sans que ces informations ne soient partagées avec des concurrents, si elles sont en mesure de combler le déficit d’approvisionnement pour répondre à la demande (soit au moyen de stocks existants, soit par une augmentation de la production).

Ces formes de coopération seront, en principe, conformes au droit de la concurrence, pour autant qu’elles soient assorties de certaines garanties. Une garantie que la Commission européenne souligne avec soin est qu’il faut éviter que des informations sur une entreprise particulière soient communiquées aux concurrents de cette entreprise.

 

Précautions lors d’accords et de l'échange d'informations concernant la gestion des stocks, production et distribution

En principe, les concurrents ne peuvent pas échanger des informations commercialement sensibles, telles que des informations sur la production, la gestion des stocks et la distribution. La coordination pose également des soucis au regard du droit de la concurrence dans ce domaine. Toutefois, la Commission ne veut pas faire obstacle aux initiatives de coopération nécessaires dans ces temps exceptionnels et autorise, ou du moins tolère, ces mesures dans des conditions strictes. A cet égard, la Commission européenne a indiqué que des mesures de coopération doivent satisfaire à un triple test, à savoir qu’elles :

  1. soient conçues de manière à accroître réellement la production de la manière la plus efficiente possible afin de faire cesser ou d’éviter une pénurie d’approvisionnement en produits ou services essentiels, tels que ceux utilisés pour le traitement des patients atteints de la COVID-19, et soient objectivement nécessaires à cette fin ;
  2. soient de nature temporaire (à savoir qu’elles s’appliquent uniquement tant qu’il existe un risque de pénurie ou, en tout état de cause, pendant la pandémie de COVID-19);
  3. n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif visant à faire cesser ou à éviter une pénurie d’approvisionnement.
 

Les entreprises doivent documenter tous les échanges et accords conclus entre elles, et les mettre à la disposition de la Commission si elle en fait la demande.

Dans sa lettre de confort à ‘Medicines for Europe’ la Commission européenne précise que la coopération envisagée est possible pour autant que :

  1. elle soit ouverte à toute entreprise pharmaceutique ;
  2. elle soit documentée et que les contrats qui sont effectivement conclus soient partagés avec la Commission européenne ;
  3. l’information ne soit pas directement échangée entre les entreprises concernées, mais par Medicines for Europe ou un tiers désigné par celle-ci ;
  4. l’information partagée soit agrégée et non individualisée ;
  5. la coopération soit limitée dans le temps, plus précisément tant que la pénurie imminente, éventuellement aussi causée par une deuxième vague de COVID-19, n’est pas surmontée. 

 

Rôle de l’Etat

Si les pouvoirs publics obligent les entreprises à coopérer, le droit de la concurrence ne s’oppose pas à cette coopération. Le fait que les pouvoirs publics encouragent et/ou coordonnent une coopération, est, selon la Commission européenne, un facteur pertinent à prendre en compte pour établir que celle-ci ne posera pas de problème au regard du droit de la concurrence.

 

Attention aux prix (et autres abus)

La Commission indique clairement qu’une coopération au niveau (de la fixation) des prix n’est pas autorisée. La lettre de confort à ‘Medicines for Europe’ avertit expressément tout un chacun des hausses de prix qui ne peuvent être justifiées par une éventuelle augmentation des coûts. Une coopération qui n’est pas strictement nécessaire, continue à poser problème. Des prix excessifs et une limitation de la production sont des exemples expressément mentionnés.  

 

Un regard au-dessus des frontières

Le fait que le COVID-19 n'est pas une carte blanche pour la coopération entre les entreprises pharmaceutiques et médicales est démontré par le fait que des actions ont déjà été menées à l'étranger contre certaines pratiques et initiatives de coopération. A cet effet, l'autorité de concurrence britannique avertit qu'elle surveillera strictement les entreprises soupçonnées d'exploiter les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons en demandant des prix injustifiés ou en faisant des déclarations trompeuses. L'Autorité de concurrence des Pays-Bas souligne que le droit de la concurrence laisse aux concurrents "une grande marge de manœuvre" pour coopérer même dans ces temps exceptionnels, mais qu'un certain nombre de cas, qui ne sont pas autorisés dans des circonstances normales, demeurent inadmissibles, tels que la fixation des prix, l'abus de position dominante (qui peut être le résultat de la crise) en demandant des prix usuraires ou en excluant des concurrents. L'autorité de concurrence grecque a envoyé des demandes d'information aux distributeurs, importateurs et constructeurs de matériel médical.

 

En savoir plus

Pour des informations plus détaillées, consultez les documents suivants : 

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Pieter Paepe, avocat à Bruxelles 

ppa@astrealaw.be