Aperçu de certaines évolutions en droit de la concurrence dans les secteurs pharmaceutique et de la santé

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Judge gavel and stethoscope with pills. The law in medicine, the sentence on medical negligence.
Cet article donne un aperçu de certaines évolutions en droit de la concurrence dans les secteurs pharmaceutique et de la santé à 2020 et 2021.

UE – Aspen Pharma et tarifs excessifs pour des médicaments contre le cancer

En 2017, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle d’examen en raison de préoccupations relatives à des pratiques tarifaires excessives auxquelles se serait livrée Aspen Pharma concernant cinq médicaments contre le cancer. L’objet de l’enquête concerne des informations selon lesquelles Aspen aurait imposé des hausses de prix excessives et injustifiées, atteignant plusieurs centaines de pour-cent du prix initial. Suite à cette décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen, Aspen Pharma a proposé une série d’engagements. Tout d’abord, Aspen a proposé de réduire ses prix en moyenne de 73 % ses prix pour six médicaments anticancéreux essentiels pour une période de dix ans, tout en ayant une possibilité de revoir les prix après cinq ans. En outre, Aspen Pharma a proposé de garantir l’approvisionnement des médicaments dont le brevet est arrivé à l’expiration pendant une période de cinq ans. La Commission a invité toutes les parties intéressées à présenter leurs observations sur les engagements proposés par Aspen Pharma.

En février 2021 la Commission européenne a accepté les engagements proposés par Aspen Pharma.

Un premier engagement concerne le prix des six médicaments anticancéreux. Aspen réduira les prix de ses médicaments en moyenne de 73 %. Pour chaque État membre (et le Royaume Uni) un ‘prix net réduit’ du médicament est déterminé. Ces prix réduits resteront en vigueur pour une période de 10 ans. Pour s’assurer que les réductions de prix soient effectivement répercutées sur ceux qui achètent ou remboursent les médicaments, Aspen Pharma doit mettre tout en œuvre pour modifier les contrats avec ses agents afin d’y inclure une clause obligeant ses agents à réduire leurs prix de vente.

En tant que deuxième engagement, Aspen Pharma est obligé de garantir l’approvisionnement des médicaments anticancéreux pendant une période de cinq ans. Puis, durant une période supplémentaire de cinq ans, Aspen Pharma doit poursuivre l'approvisionnement ou mettre son autorisation de mise sur le marché à la disposition d'autres fournisseurs.

Belgique – Prix de revente minimum et produits cosmétiques en ligne/Caudalie

Le 20 novembre 2020, l’Auditorat de l’Autorité belge de la Concurrence (ABC) a déposé une proposition motivée de décision auprès du Président. Dans cette décision, l’Auditorat allègue l’existence de pratiques restrictives de concurrence de Caudalie, une entreprise qui fabrique et distribue des produits cosmétiques. L’Auditorat estime que Caudalie a imposé un prix de revente minimum à ses distributeurs sélectifs via la fixation d’un niveau maximum de ristournes. L’Auditorat estime que Caudalie a également limité les ventes actives et passives de ses distributeurs sélectifs actifs en ligne établis dans un autre Etat membre que celui des utilisateurs finaux.  

France – Novartis, Roche et Genentech

En septembre 2020, l’Autorité de la concurrence française (ACF) a infligé une amende de 444 millions d’EUR à Novartis, Roche et Genentech pour avoir abusé une position dominante collective sur le marché français du traitement de la Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge (DMLA). Le laboratoire Genentech a développé deux molécules différentes : le bevacizumab (dont le nom commercial est Avastin) et le ranibizumab (dont le nom commercial est Lucentis). À l’origine, Avastin a été développé pour le traitement de certains cancers, mais à terme certains médecins ont décidé d’utiliser Avastin également pour le traitement de la DMLA (une utilisation « hors AMM »). Lucentis, de sa part, a été développé spécifiquement pour le traitement de la DMLA.  Avastin est moins cher que Lucentis.

A plusieurs reprises, l’Autorité de la concurrence française a souligné le rôle central de la ‘visite médicale’ par les représentants des laboratoires qui présentent des médicaments aux médecins. Ces visites constituent en effet, pour les médecins, une source majeure d’information sur les médicaments, en raison de leur accessibilité, son interactivité et leur gratuité. L’importance de la visite médicale impose donc aux visiteurs médicaux une obligation de partager les informations dont ils disposent de façon absolument objective, complète et fiable.

L’Autorité de la concurrence française a retenu deux abus.

En premier lieu, Novartis a été sanctionné pour avoir diffusé un discours dénigrant auprès des professionnels de santé (et plus particulièrement, des médecins ophtalmologistes), des associations de patients, du grand public et des autorités de santé. Dans sa campagne de communication, Novartis aurait mené un discours insistant, de manière injustifiée, sur les risques liés à l’utilisation d’Avastin pour le traitement de la DMLA (utilisation « hors AMM »). Même si les informations relayées par Novartis concernant les résultats des études scientifiques sont exactes, l’Autorité de la concurrence française observe que Novartis aurait sélectionné les seules informations allant dans le sens de son argumentaire, tendant à insister sur les risques liés à l’utilisation « hors AMM » d’Avastin en ophtalmologie. L’Autorité de la concurrence française a également constaté que le discours dénigrant a affecté les volumes de vente, notamment ayant pour effet de limiter les prescriptions d’Avastin, et qu’il a également eu pour effet le maintien de Lucentis à un prix supra-concurrentiel.

En deuxième lieu, l’Autorité de la concurrence française a constaté que Genentech, Roche et Novartis auraient mis en œuvre des ‘comportements de blocage administratif’ et seraient intervenus dans le débat public, par le biais d’un discours alarmiste et trompeur, sur les risques liés à l’utilisation d’Avastin en ophtalmologie. Même si les laboratoires pharmaceutiques sont parfaitement libres de faire valoir, de façon objective et neutre, leurs éventuelles préoccupations de santé publique auprès d’autorités publiques, l’Autorité de la concurrence française précise que les laboratoires pharmaceutiques ne peuvent exagérer les risques liés à l’utilisation d’un médicament « hors AMM », dans un contexte d’incertitude scientifique, afin de bloquer ou ralentir, indûment, l’utilisation d’un médicament « hors AMM ». Selon l’Autorité de la concurrence française, ses actions ont finalement été de nature à limiter les prescriptions d’Avastin « hors AMM », diminuant artificiellement la pression concurrentielle exercée sur Lucentis.

Belgique – Règles déontologiques et nouveaux modèles économiques dans le secteur pharmaceutique

En 2019, le Collège de la Concurrence de l’Autorité belge de la concurrence a infligé une amende à l’Ordre des Pharmaciens à hauteur d’un million d’EUR pour avoir mis en œuvre des pratiques restrictives de concurrence visant à entraver le développement du modèle de distribution innovant du groupe MediCare-Market sur le marché des services délivrés par les pharmaciens. L’Ordre des Pharmaciens a décidé d’introduire un recours.

Le 8 janvier 2020, la Cour des marchés de la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé cette décision. La Cour estime que l’Autorité belge de la concurrence  a décidé à juste titre que l’Ordre des Pharmaciens a poursuivi une stratégie visant à exclure MediCare-Market du marché. La Cour observe qu’en poursuivant cette stratégie d’éviction, l’Ordre des Pharmaciens a détourné sa mission d’intérêt général (c’est-à-dire faire respecter la déontologie) de sa finalité pour tenter de défendre un modèle économique ‘traditionnel’, celui de la vente par un pharmacien seul, pour s’opposer au nouveau modèle économique de MediCare-Market. La Cour a également confirmé que l’Autorité belge de la concurrence peut prendre en compte et interpréter les règles déontologiques de l’Ordre des Pharmaciens. Néanmoins, la Cour estime que l’amende a été calculée d’une manière incorrecte : sur ce point précis, la décision de l’Autorité belge de la concurrence a été annulée et l’Autorité belge de la concurrence devra refixer l’amende.

Allemagne – Entreprise commune pour créer une plateforme de santé numérique (gesund.de)

En décembre 2020, l’Autorité de la concurrence allemande a autorisé la création d’une entreprise commune (‘joint venture’) pour établir une plateforme de santé numérique. Cette plateforme offrira un éventail de services et de produits de santé, dont l’achat et la commande de médicaments soumis à prescription et en vente libre. À moyen terme, la plateforme – gesund.de – offrira également la possibilité de consulter les médecins par vidéo. L’entreprise commune, créée par ADG Apotheken-Dienstleistungsgesellschaft mbH (une filiale de Phoenix) et Noventi Health SE, deviendra opérationnelle dans le deuxième trimestre de 2021.

Dans son communiqué de presse, l’Autorité de la concurrence allemande a souligné que les marchés doivent rester ouverts et qu’il est important d’éviter des développements unilatéraux à un stade dans lequel plusieurs acteurs développent une offre numérique. Il a également été mentionné que les pharmaciens doivent avoir la possibilité de travailler avec plusieurs plateformes numériques et de passer d’une plateforme à une autre. En outre, il doit être possible pour les pharmaciens de mettre en place leur propre plateforme.

Belgique – Constitution d’un réseaux hospitalier et exclusion d’un contrôle des concentrations par l’Autorité belge de la concurrence

Avec la Loi du 28 février 2019, le législateur a introduit une obligation pour tous les hôpitaux de faire partie d’un ‘réseau hospitalier clinique locoregional’. Chaque réseau est obligé de disposer de sa propre gestion qui englobe certaines missions, dont la prise des décisions stratégiques en ce qui concerne l'offre de missions de soins locorégionales, la coordination de l'offre de missions de soins générales et spécialisées entre les hôpitaux du réseau hospitalier clinique locorégional, etc.

Le 22 juillet 2020, l’Auditorat de l’Autorité belge de la concurrence a publié sa position que dans certains cas la création d’un réseau hospitalier constitue une concentration soumise au contrôle des concentrations. L’Auditorat rejette l’argument qu’un tel contrôle n’est pas nécessaire puisque les hôpitaux sont obligés de faire partie d’un réseau hospitalier clinique locorégional. Selon l’Auditorat, la Loi du 28 février 2019 et le contrôle des concentrations doivent être appliquées conjointement.

En novembre 2020, le Ministre de l’Économie déclare devant la Chambre des Représentants qu’il estime qu’un contrôle des concentrations n’est « pas adapté » au secteur hospitalier et qu’une solution législative était en train d’être préparée pour cette problématique importante. Le 4 mars 2021 la Chambre a adopté une loi qui exclut la constitution d’un réseau hospitalier clinique locorégional du contrôle préalable des concentrations par l’Autorité belge de la concurrence. Cette exclusion sera sans préjudice du contrôle des concentrations par la Commission européenne.   

EU – « Pay for Delay »/Teva et Cephalon

En novembre 2020, la Commission européenne a infligé une amende de 60,5 millions d’EUR aux entreprises pharmaceutiques Teva et Cephalon pour s’être mises d’accord pour retarder l’entrée sur le marché d’une version générique moins chère de modafinil, un médicament de Cephalon traitant les troubles du sommeil, après l’expiration des principaux brevets de Cephalon.

Le provigil est un médicament à base de modafinil, utilisé pour traiter la somnolence diurne excessive liée en particulier à la narcolepsie. C’était le produit le plus vendu de Cephalon et également sa principale source de revenus. Au moment de l’expiration du brevet principal de Cephalon, protégeant modafinil, Teva était le concurrent le plus avancé sur le marché du générique. Cephalon détenait plusieurs brevets secondaires sur modafinil et s’est efforcé de les faire valoir contre Teva. Teva, pour sa part, a argumenté que ces brevets étaient invalides et n’avaient pas été enfreints.

En 2005, Cephalon et Teva ont conclu un accord de règlement amiable, dans lequel Teva s’est engagé à ne pas entrer en concurrence et à ne pas contester les brevets secondaires de Cephalon. En échange de ces engagements, Teva a reçu un ensemble de transactions commerciales et un paiement en espèces. D’après la Commission, cet accord a exclu Teva en tant que concurrent et a remplacé les risques et l’incertitude d’un litige et de la concurrence, par la certitude d’un ‘accord d’exclusion du marché’. La Commission estime que Teva et Cephalon ont en effet convenu de ne pas se faire concurrence sur le marché de modafinil.

La Commission a conclu que l’accord de règlement amiable constitue une restriction de la concurrence par objet concernant tous les États membres, sauf l’Estonie et Malte. Pour six autres États membre, la Commission a établi que l’accord de règlement amiable constitue également une restriction de concurrence par effet : dans les États membres concernés, l’accord a permis à Cephalon de maintenir des rentes importantes (ainsi que les prix qui en résultent) au détriment des patients et des systèmes de santé. En outre l’accord a dissuadé tous les autres concurrents de produits génériques d’entrer sur le marché.

Pieter Paepe

Avocat au barreau de Bruxelles

ppa@astrealaw.be